Quels enjeux ?

L’expertise des ONG comprend une analyse fine des conditions de faisabilité et donc des limites de cette méthode. Le pari de l’ICP est que dans certains contextes, une présence internationale, étrangère, stratégique peut renforcer les marges de manœuvre des acteurs civils et contribuer à la construction d’une paix solide, durable. La difficulté réside dans le fait que chaque cas est unique, complexe, changeant.

On peut cependant identifier des situations dans lesquelles l’ICP n’a clairement pas lieu d’être. Il y a, pour commencer, les situations qui relèvent clairement du génocide, situations dans lesquelles la destruction de l’autre, de son habitat, de son environnement est un objectif assumé, revendiqué, d’au moins une des parties en présence.

Ces situations sont rares mais elles existent et appellent la vigilance. On peut penser au Cambodge des Khmers Rouges à partir de 1975, à Kigali en 1994, ou encore, plus récemment, aux attaques des milices Janjaweed sur les habitants du Darfour. Il existe donc des moments où la destruction est assumée politiquement. L’ICP n’a aucun rôle à jouer face à un vrai génocide. Il existe aussi des situations de violence intense contre les DH, sanctionnées par des autorités politiques, capables d’ignorer les remontrances de la communauté internationale. Ce sont soit des régimes politiques isolés, en rupture avec la communauté internationale (Corée du Nord, Birmanie jusqu’à ces dernières années), soit des régimes puissants, détenteurs par exemple d’un pouvoir de veto au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies (Chine, Russie). Ces régimes, en général, n’autorisent pas d’interventions sur leurs lieux de conflits et contrôlent de leur mieux la circulation de l’information. Dans ces contextes difficiles, des présences étrangères sont très délicates à mettre en place car elles peuvent être perçues comme provocatrices et conduire à des exactions renouvelées contre les acteurs civils locaux. Lorsqu’il n’y a pas de points de pression possibles sur les autorités politiques et militaires, une intervention civile de paix porte en elle de graves risques pour les personnes qui les appellent. Enfin, il existe des contextes de violations massives des DH pratiquées par des groupes aux frontières très floues, travaillant entre criminalité et politique, groupes autonomes, dont les structures politiques et militaires sont très difficilement identifiables. (Le Libéria au début des années 1990, la République Démocratique du Congo et la Sierra Leone au tournant du XXIe siècle, le nord de l’Uganda sous emprise de l’armée de résistance du seigneur). Ce sont des situations où les États ont failli et les chaînes hiérarchiques n’existent pas. Or toute l’efficacité de l’ICP repose sur la mise en responsabilité des acteurs politiques face aux actes de violence commis sur les territoires relevant de leur juridiction. S’il est impossible d’identifier des chaînes de responsabilités politiques et militaires, alors le travail d’observation des abus ne se transformera pas en un levier contre l’impunité.

Face à des autorités politiques et militaires ouvertement génocidaires, intouchables ou encore insaisissables voire inexistantes, l’ICP n’est pas un outil efficace pour limiter l’usage de la violence. Mais, paradoxalement, ces trois cas extrêmes permettent de délimiter le champ des possibles. De fait, il existe de nombreux pays qui prétendent respecter les DH inscrits dans leurs constitutions et qui ne le font pas. Il existe de nombreuses armées qui entretiennent des liens avec des groupes paramilitaires chargés du « sale travail » et ne souhaitent pas que cela se sache. La Colombie est l’exemple type mais n’est pas une exception. Il existe de nombreux processus de paix très fragiles où il faut à la fois réformer les institutions politiques, judiciaires, militaires tout en assurant la survie et le développement des populations. Dans ces contextes, il y a des écarts, voire des béances, entre les discours politiques et les réalités de terrain. C’est dans ces décalages que l’ICP apporte le plus, que les témoignages de terrain bien relayés mettent les politiques devant leurs responsabilités, que les accompagnements des acteurs locaux ont un effet dissuasif sur les acteurs armés, et renforcent les organisations de la société civile. C’est dans ces zones troublées par la méfiance que la présence d’acteurs tiers ouvre des espaces de dialogue entre les acteurs du conflit.